SON ODEUR APRES LA PLUIE – Cédric Sapin-Defour – Roman (2023)

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Chronique dédiée à mon compagnon, Uston

Ça sent le chien mouillé. Qui n’a pas déjà entendu ou dit cette phrase ? Cédric Sapin-Defour renverse la logique avec Son odeur après la pluie. Ce n’est pas l’humain qui est incommodé, c’est le chien qui embaume l’atmosphère après une promenade sous la pluie. C’est plus poétique. On respire l’humidité de l’air, les effluves de l’herbe qui remontent et nous rafraichissent l’âme et le corps, et la terre mouillée qui nous enracine.  Le chien c’est Ubac dans cette histoire d’amour à deux, à trois, puis à cinq, indépendamment du genre et des catégories d’êtres vivants.

C’est un beau roman, c’est une belle histoire sur l’amour, la nature, la liberté, l’injustice qui est annoncée dès les premières pages :  « Lorsque votre amour se déporte sur un vivant d’une autre catégorie et à la durée de vie moyenne, en toute implacable logique, pointera cette date où le nouveau-né rattrapera votre âge, l’excédera et mourra« . On sait dès le début que l’histoire finira dans la tristesse. Cédric Sapin-Defour est un montagnard qui a beaucoup écrit sur sa passion des cimes. Il a adopté son bébé chien l’année des U, donc il l’a tout naturellement appelé Ubac.

Cela raisonne en moi puisque mon chien est aussi né l’année des U, un cycle alphabétique plus tard. Uston est né le 6 juin 2023. Ubac est mort le 13 juillet 2017.

Cédric-Sapin-Defour ne cède pas spontanément à la tentation de l’anthropomorphisme qu’il essaie d’écarter, mais celui-ci s’invite immanquablement, régulièrement. Ce roman décrit au fil des jours l’amour inconditionnel qu’un chien porte à son humain et en interroge les raisons et c’est là que l’anthropomorphisme, même involontaire, s’invite.

Ce roman déculpabilise les humains qui vivent avec des chiens. Il légitime le chagrin que représente la perte d’un animal – chagrin souvent mal compris par ceux qui n’ont pas eu la chance de partager leur vie avec un compagnon d’une autre catégorie. Ceux qui trouvent indécent ce chagrin qui devrait être réservé aux humains. Mais quelle que soit la catégorie à laquelle nous appartenons, la famille reste la famille et les amis restent les amis. Nos chiens sont à la fois des membres de notre famille qui vivent avec nous et des amis avec qui nous partageons tout.

Et en dépit de tout cela, c’est un roman gai. Une ode à la liberté, à l’amour pour les gens et les bêtes.

C’est gonflé d’écrire un roman sur l’amour d’un chien et d’un humain. J’ai écrit cette chronique au nom de tous les humais qui aiment un ou plusieurs animaux – et par aimer, je veux dire partager la vie, être complices, se parler, jouer, déconner, prendre soin l’un de l’autre, rigoler, partir en vacances, aller chez le véto, chez des amis, courir après les feuilles mortes, essayer d’attraper les oiseaux, etc.).

En souvenir de César, Roméo, Ulysse et Cindy.

Spéciale dédicace à Lunette, ma petite chérie.

Quelques citations

« Ce chien ne me lâchera jamais de son œil attentif et je sais que par ces lucarnes de l’âme, au-delà de voir, il regardait et savait tout de moi, et même ce que je m’efforçais de rendre invisible. »

« Il m’aidera à défricher les importances et nous réduirons ensemble cette existence au luxe de l’essentiel. Il sera là à ensauvager mes jours et ni lui ni moi ne serons plus jamais seuls. »

« Il me suit. Comme un chien, disent les cons. »

« La compagnie d’un chien ne rend rien excessif, ni le temps, ni l’espace. Ce n’est même pas histoire de le passer, le temps, c’est d’en être. »

« Depuis plusieurs mois, j’expérimente comme la compagnie d’un chien essore la vie sociale. »

« Si je me méfie des passions exclusives et qui brûlent tout, je me laisse aller là au luxe de préférer. « 

« II avait traversé une nationale au bord de laquelle sont déposés chaque année des bouquets de roses, deux rues passantes et d’autres zones à découvert. Seul. De peur rétroactive, j’ai failli l’engueuler mais je ne l’ai pas fait, je le sais inapte à relier deux actes distants, mais je ne l’ai pas fait. Je lui ai simplement précisé que, s’il me plaisait que notre vie commune soit dédiée au chahut, je le suppliais, s’il te plaît, de se discipliner à ne pas mourir. Ce jour-là, j’ai cru le perdre et, s’il le fallait, j’ai saisi qu’une vie sans lui ne s’envisageait pas. « 

« Nous réveillonnons en famille. Ubac en est naturellement. Il a son os empaqueté par mes parents dans un papiers cadeau au pied du sapin. C’est ridicule, c’est essentiel. »

« De l’aimer me suffit. Car, vois-tu, je ne saurais jamais s’il m’aime jamais. Et aimer sans certitude de l’être en retour… Je me demande si m’on ne tient pas ici la définition de l’amour véritable. »

« Dans tout lieu où il passera deux heures ou deux ans, il s’en prétendra le bailleur ; la domestication du chien ne semble pas avoir étouffé son instinct de propriété. »

« Je me présente à l’accueil et je ne sais jamais dire si c’est Ubac ou moi qui ai rendez-vous, je tends son carnet de santé bien tenu à la demoiselle avenante de l’accueil. « 

« Les amis sont là, la famille, les compagnons de jeu et je ne me retire pas d’eux, je les côtoie, comblé qu’Ubac ait intégré ces groupes à la place qui est la sienne et qu’il remplit à merveille : à proximité du centre. »

« Avoir un chien, c’est être dans le monde sans y être tout à fait, pas en périphérie, bien dedans mais joyeusement translucide, c’est comme s’autoriser une solitude voilée, heureuse et passagère. Vous seriez sans cesse seul, assis sur un banc, errant dans les foules, les rues et les forêts, on s’inquiéterait pour vous ou l’on vous traduirait en misanthrope, mais là, d’être avec votre chien, on vous laisse tranquille. »

« Certains, nous déclarant famille, nous préférons meute, car au sein d’un tel groupe où les liens du sang ne sont pas exigés, l’on se jure sans cérémonie fidélité, secours et liberté. »

« Ubac lèche mon chagrin à même les paumières, le goût du sel et de l’amour. »

« Ce chien n’est un être ni de substitution, ni de projection. Ubac grandit, vieillit, au convertisseur il est désormais plus vieux que nous. S’il eût été notre fils, il serait alors aujourd’hui notre frère et demain notre père, dans une inversion signant l’absurdité d’y souscrire, le respect de nous et d’Ubac en tant qu’être vivant à part entière passe par le rejet de ce type de confusion. »

« Une balade qui pourrait s’adjuger deux l tant elle œuvre à la poésie du monde. »

« Un chien a vocation à protéger de l’immobilité. Il est un antidote à la fossilisation. Méfions-nous, ça tue des vieux cette histoire ; un jour, leur chien meurt, sortir devient triste, inutile et pénible. Alors, privés de leur vitalité et de leur antigel, à leur tour ils s’arrêtent. »

« Où que l’on aille, quoiqu’il soit prévu de faire, cueillir des jonquilles ou sauter les crevasses, la réponse d’Ubac ne varie pas : oui, il acquiesce, fonce et suit. Sa confiance en moi est spontanée, absolue et renouvelable. « 

« Nous prenons conscience d’une autre méprise. A la mort de l’un de nos chiens envisager que notre tristesse, par la mémoire vivante des autres, sera moindre est une bêtise. Ca ne marche pas comme ça, le cœur, il n’est pas un muscle comme les autres, les fibres déchirées ne renaissent pas. Car à la douleur de la perte, désormais nous le savons, s’adjoindra la leur et celle de ne plus les voir ensemble. A la mort de Frison, une semaine durant Cordée ne saura plus marcher. Aucun vétérinaire ne saura quoi faire, l’échographie ne voit rien de l’amour. »

« Nous sommes si heureux que cela m’effraie ; pour laisser quelques miettes aux autres, je suis sûr que l’on peut mourir d’avoir déjà trop reçu. Je trouverais cela même juste. »

« Mes parents sont des êtres disponibles, pour les fêtes faciles comme pour les lourdes besognes, c’est à cette polyvalence que l’on mesure l’amour absolu. »

« Quand la vie s’éteint, on sait l’entrevoir dans ses moindres discrétions, si elle abonde, nous la négligeons. »

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