EMPATHIE – série – Canada (2025)

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Tout est dans le titre.

Empathie raconte le quotidien des soignants et des patients de l’unité carcérale de l’institut Mont Royal à Montréal. On suit particulièrement le parcours de Suzanne que ses patients appellent « la psychiatre bizarre » parce qu’elle vient questionner les pratiques du service. Suzanne, qui est une ancienne consultante en psychiatrie de la police,  a elle aussi, un parcours de vie tout à fait singulier.

C’est la santé mentale des protagonistes qui est examinée dans cette série. Tous les personnages ont été malmenés par la vie, à divers degrés. Ils sont cabossés, rongés par la culpabilité ou la violence, et certains doutent de leurs capacités à être réparés. Mortimer, l’accompagnateur de Suzanne, résume très bien : « Je fais partie des gens endommagés qui ont été endommagés par des gens endommagés« . Empathie montre également le parcours de certains malades, et le spectateur découvre, au fil des épisodes, ce qui les a conduits vers cette unité carcérale. Les acteurs qui jouent les rôles des malades sont bluffants. L’addiction à l’alcool constitue également un thème récurrent : l’alcool féminin et solitaire.

Les décors et les costumes sont minimalistes. Lorsqu’il filme les scènes se passant au sein de l’unité, le réalisateur fait le choix d’un éclairage filtré terne, un peu jaune, un peu bleu, marron, qui rappelle celui des vieilles séries allemandes comme L’inspecteur Derrick. Cet éclairage traduit bien l’oppression au sein de ce huis clos que constitue l’unité, par contraste avec les scènes extérieures beaucoup plus lumineuses.

Les dialogues de la série sont acérés, précis, sous un verni de quotidien et de banalité, tout comme l’éclairage. Les non-dits, à peine soulignés, et le silence y jouent aussi un grand rôle, laissant au spectateur une part d’imagination et la possibilité de deviner les parcours de chacun des personnages. Par exemple, l’accident qui hante Suzanne engage le spectateur sur de fausses pistes qui seront démenties au fil de la narration.

Tout comme l’intrigue, la bande son imprime une impression de lenteur. C’est un piano, parfois renforcé par un orchestre symphonique, qui accompagne le plus souvent la narration. Des chansons, internationales ou du répertoire québécois, illustrent les scènes clefs : Pierre Lapoine (Je déteste ma vie), Sia (Chandelier), Barbara (Dis, quand reviendras-tu ?), Gene Kelly (Singin’ in the rain), Swann (Is this love ?), Charlotte Cardin (Somebody First), Claude Dubois (Femme de rêve). Un instant frappant : Suzanne, dans une scène onirique, se balance accrochée au chandelier de la maison familiale, avec la voix de Sia en fond sonore, la caméra tangue comme le personnage qui perd pied jusqu’à donner la nausée au spectateur. L’attention de son père est captée immédiatement après, par ce même chandelier qu’il regarde, les yeux perdus dans le vide.  

Des danseuses et danseurs vêtus de tutus, habillés tout de noir, ponctuent les scènes clefs. C’est une danseuse en noir qui ouvre la série (un cygne noir ?) et un groupe de danseurs, dont certains sont enfin colorés, qui accompagnent les personnages lors de la scène finale. Ces danseurs interviennent principalement lors des scènes où les personnages sont troublés et souvent seuls : par exemple, les danseurs se heurtent contre une vitre imaginaire pour symboliser l’impasse dans laquelle se trouve un personnage. Un maniérisme qui, selon moi, aurait pu être évité, les scènes de la série étant assez explicites et se suffisant à elles-mêmes, sans besoin d’une illustration superficielle. Autre coquetterie qui n’entrave pas la narration : au générique de chaque épisode le « i » de Empathie est incarné par un personnage.

Bref, Empathie est une série qui prend son temps, qui oscille entre le présent et le passé des personnages et qui aborde les sujets qui peuvent tous nous affecter : deuil, addiction, accompagnement de la malade mental, harcèlement, hallucinations, perversité…

On ne saurait dire si Empathie nourrit le cliché selon lequel les psychiatres sont tous fous ou si, simplement, cette série démontre qu’ils sont comme tout le monde, avec leurs fragilités, leurs fêlures, leurs drames.

Je dédie cette chronique au meilleur d’entre eux. Il se reconnaîtra.  

Le coin des linguistes

Dans Empathie on entend la langue québécoise. Les dialogues sont émaillés d’expressions qui contribuent à rendre aux métaphores françaises leur sens premier. Une langue dans laquelle on entend aussi des mots anglais, souvent dans les jurons. Comme dans les films de Xavier Dolan, les passages les moins compréhensibles phonologiquement pour les Français sont sous-titrés. On peut regretter cependant que les sous-titres traduisent des idiomatismes québécois, pourtant très compréhensibles, plutôt que de les restituer tels quels. On perd ainsi la saveur du québécois.

Quelques citations

« Vous avez vraiment pas l’air d’une psychiatre. »

« Vous êtes des milliers à vous être fait avoir. Et puis ce qu’il t’a fait miroiter ça vaut très très cher. L’espoir. L’espoir de vivre un grand amour qui traversse les murs, qui fait qu’on se sent moins seule. »

« On reste toujours des enfants blessés, hein ? « 

« Je veux pas qu’y ait d’ambigüité. Les femmes m’intéressent pas. On se mangera jamais la sacoche. Je voulais dire vagin mais j’ai dit sacoche. Je sais que c’est immature de pas dire le vrai mot mais vagin ça me roule dans la bouche. Pas de manière sexuelle. On se mangera jamais le vagin.« 

« C’est pas parce qu’on est blessé qu’on peut pas se relever.« 

« A part t’inquiéter, est-ce que tu sens autre chose ? « 

« Tu penses que parce que t’es beau et brillant, tu penses que tu peux te mettre au-dessus du monde et être méprisant. Mais t’a rien fait de spécial, t’es juste fucking symétrique. T’as les trous au bon endroit, mais ça vaut rien. Moi je m’intéresse à toi au-delà de ça, et tu le sais et tu t’en sers. T’es laid et dans le fond t’es dégueulasse. »

« Moi aussi je suis un cas désespéré. »

« Ici faut jamais baisser la garde. C’est un super hôpital. Mais ça reste des criminels. »

« Qu’est-ce que le réel ? Vraiment le réel existe-t-il ?  Car qui peut décréter la vérité ? Sans y ajouter sa propre perception. On ne voit rien qu’à travers ses yeux. Donc, sommes-nous contaminés, de façon positive ou négative, par le prisme de notre propre réalité ? »

« On m’a fortement recommandé de quitter le service de police. Parce qu’il y a deux ans j’ai perdu ma femme puis ma fille dans un accident. Puis j’ai un peu perdu la raison en même temp et je sais pas si je vais la retrouver. Je suis exactement au bon endroit à l’unité. »

« Pas question que je te donne ma pisse. Ma pisse est à moi. »

« Moi c’est pas simple avec ma mère. Disons qu’elle a des petits problèmes dans sa tête. »

« J’ai l’impression de m’être fait sucer mon âme. Il m’a saoulé. Il aurait pu résumer un brin en plus. »

« Ça pourrait être un antisocial, un narcissique, un psychopathe même. C’est pas des gens qu’ont pas d’émotions. C’est des gens qu’ont pas d’émotions pour les autres. Ils ont pas la faculté d’empathie. Ils ressentent beaucoup moins la peur, le stress, les regrets que les autres humains. »

« C’est comme un coup de foudre. Un coup de foudre d’amis.« 

« T’as vraiment été trouvée dans une poubelle ? … c’est ça l’odeur ?« 

« Avant d’aller plus loin dans les démarches d’adoption, vous devez savoir que l’enfant est bien hypothéquée. En ce moment elle est en sevrage de plusieurs drogues transmises par le lait maternel, une fracture au bras, la malnutration. C’est certain que ça va laisser des traces. »

« Y a quelques chose de brisé en moi et je sais pas si ça se répare. »

« Alors ça va finir demain. J’ai tellement souffert. J’ai tellement fait souffrir. J’ai jamais été bien nulle part. Même pas dans ma tête. Mes chiens, j’ai tellement aimé mes chiens. Eux-autres ils me comprenaient. Avec eux je savais y faire. J’en ai sauvé des caniches. J’aurai fait ça de bien. »

« Il y a une partie de cette souffrance-là dont vous êtes responsable et puis il y aune partie qui est dûe à la maladie et puis aux conditions dans lesquelles vous avez vécu. » 

« Est-ce que tu peux arrêter de me parler comme un docteur ? Juste comme à un ami. »

« Ça fait deux ans que c’est temporaire. Tu veux pas voir de psychiatre, je peux comprendre. Tu veux pas aller en thérapie, fine. Alors tu vas prendre une respiration, mettre ton ego de médecin dans ta petite poche, fermer ta petite poche et puis tu vas aller à ta réunion des AA parce que tu en as franchement besoin. »

« La dame de l’orphlinat m’a dit que c’était pas du tout lié à un déficit intellectuel mais à de la négligence extrême. Le pire cas qu’ele ait vu dans son métier. Il n’a jamais été battu, violenté, abusé, rien de tout ça.  Il a été ignoré par sa famille biologique. »

« La vie est trop courte pour rester pris dans des comportemenys comme ça. Décroche. T’es trop intelligent, t’es trop une belle personne pour ça. »

« Je m’appelle Evelyne, je suis alcoolique mais c’est temporaire. »

« En choisissant la confrontation pour entrer en contact, tu te pourris la vie et tu pourris la nôtre. J’aimerais que tu réfléchisses à ton rapport avec les femmes. Sérieusement. Je pense que tu peux gagner en gentillesse et puis en sagesse. Je te soupçonne même d’en avoir envie. »

« On est pas tous des gamins qui essaient de faire un beau dessin au final ? « 

« Un homme, c’est plus qu’un pénis. »

« C’est un navet. J’ai écrit un navet. Trois années de ma vie, de mon être, de mon cœur… et c’est à chier ! C’est pas un roman que j’ai écrit c’est un ramassis de clichés d’embourgeoisement !« 

« T’es vraiment bonne pour donner des conseils mais t’es à chier pour en recevoir. »

« Depuis que ma fille s’est suicidée. Elle s’appelait Jannie. Et puis depuis ce temps-là, et bien je comprends plus le sens de rien. Je sais plus quoi faire de mon temps. Je me saoule à la crème de menthe. Tous les soirs j’essaie de pas y penser mais ça revient tout le temps. Ça me suit partout : la culpabilité et puis la tristesse. Je me sens coupable. Je me sens tout le temps, tout le temps coupable. »

« La vie c’est court mais c’est long par moments. »

« Je mets des lettres ensemble, qui font des mots, qui font des phrases, qui font des idées, qui font des émotions, mais rien de ça existe. C’est du vent, comme moi. »

« Ici c’est une petite victoire, ça. On avance petit à petit, et souvent faut même tout recommencer, quand les patients décompensent ou consomment. Mais des fois, quand on est patients, il y a des petits miracles. Des petits miracles qui sont même des putain de gros miracles. »

« T’as pas à assumer sa démence parce que tu te sens redevable. »

« T‘es saoul, t’es tout nu et puis si tu tombes tu meurs. Assieds-toi ou j’appelle la police. »

« Depuis qu’Anna et ta fille nous ont quittés, tu déverses tout sur moi. Ta douleur, ta haine, c’est sur moi que tu la craches Je suis ta mère. Je t’aime. Je suis capable d’en prendre mais fais attention de ne pas nous avaler toutes les deux. »

« L’art peut-être un remède très concret, très réel. Puis moi aussi, quand j’allais vraiment pas bien, je lisais tes livres. »

Distribution

Florence Longpré : Dre Suzanne Bien-Aimé, psychiatre de l’Institut psychiatrique Mont-Royal

Thomas Ngijol : Mortimer Vaillant, agent d’intervention

Adrien Bletton : Émilien Delcourt, criminologue

Benoît Brière : Jacques Dallaire, patient

Lyraël Dauphin : Claude Simard, infirmière

Josée Deschênes : Diane Tétrault, préposée à l’accueil au poste de sécurité

Brigitte Lafleur : Carole Moisan, patiente

Linda Malo : Guylène Bien-Aimé, la mère adoptive de Suzanne

Sofia Blondin : Astryd Bien-Aimé, sœur de Suzanne

Igor Ovadis : Anton Koskov «Costco», patient

Frédéric Khawam : Intervenant sécurité institut

Jean-François Nadeau : Charles Villeneuve, patient

Geneviève Alarie : Hélène Giroud, sociothérapeuthe

Fiche technique

La série a été écrite avec l’aide de deux psychiatres

Création : Florence Longpré

Réalisation : Bruno Lonergan

Production : Trio Orange

Pays d’origine : Canada

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