LA FIEVRE – mini-série France (2024)

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6 épisodes

La Fièvre est une série qui aurait, dit-on, attiré l’attention du président de la République et aurait en partie motivé sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale et l’aurait conduit à utiliser l’expression « guerre civile » pour décrire le risque encouru par notre société à l’issue de des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 (information du Figaro).

C’est en effet une série très politique qui, au prétexte d’une crise liée au football, évoque tous les sujets liés à la crise identitaire qui agite la France. Dans La Fièvre, ces sujets sont illustrés par les positions idéologiques de trois femmes : Samuelle Berger qui travaille pour une agence de communication de crise nommée Kairos (καιρός signifie le temps en grec), Marie Kinsky une stand-uppeuse populiste de droite et Selma Chelbi à la tête d’une mouvement décolonialiste et indigéniste.

Cette série est très ancré dans notre époque. Il y est beaucoup question des réseaux sociaux et de leur influence sur les esprits influençables : information, désinformation, fake news, manipulation. On y retrouve tout ce qui agite notre société avec une description saisissante des forces en présence : la Cancel Culture et le populisme. Des personnalités médiatiques y jouent leur propre rôle : Cyrile Hanouna, Pierre Askolovitch, Hervé Mathoux, Laurent Paganelli…

Le roman de Stéphan Zweig Le monde d’hier est cité de façon récurrente dans La Fièvre et notamment l’extrait suivant : « Il ne restait qu’une chose à faire : se replier sur soi-même et se taire aussi longtemps que dureraient la fièvre et le délire des autres. » C’est d’ailleurs ce roman, sur la fin d’une culture (Vienne au début du 20ème siècle) qui a inspiré le titre de la série.

La réalisation, le montage et la musique traduisent très bien la qualité Canal. Mais les personnages sont peu creusés, à l’exception de Sam Berger dont on suit la vie familiale et psychique. La visée est plutôt pédagogique, d’où de nombreux monologues explicatifs qui nuisent un peu au rythme de l’histoire mais qui sont néanmoins nécessaires à sa comprhénsion. On apprend en effet beaucoup de choses sur la sphère médiatique.

On y décèle aussi un clin d’œil à une autre série du groupe : Kad Merad fait une brève apparition dans le rôle de Philippe Rickwaert, président de la République, élu lors de la dernière saison de Baron Noir.

Bref, une série qui nous conduit à réfléchir sur la puissance des médias… Si vous ne regardez pas la série, les citations ci-dessous illustrent les courants en présence

Je poste cette chronique avant le résulta des élections du 30 juin 2024.

Quelques citations

« Nominé trois fois : meilleur joueur, meilleur milieu, et en plus le plus beau but de l’année. »

« Dans l’ancien testament Dieu créait le monde en six jours. Alors qu’aujourd’hui ne seule image suffit, comme l’effondrement des tours du World Trade Center, par exemple. Et bien l’image de ce soir, de coup de boule, ce toubab en sang, nous plonge aussi dans un monde nouveau. Car les élites à paillettes mondialisées ont vu la violence que subissent tous les toubab de France au quotidien venir pourrir l’un de leurs pince-fesses à petits fours. Mmm, pauvres chatons. D’habitude, ils y célèbrent le Black-Blanc-Beur entre millionnaires pour nous vendre leur mythe du football qui fait nation. Et ce soir, révélation : ce qui fait nation ce n’est pas leur veau d’or du foot à la gloire de la diversité mais bien l’histoire, la culture, la civilisation. Oui ce soir c’était le 11 septembre de leur ‘vivre ensemble’. »

« C’est impossible. Les racisés ne peuvent pas être racistes. »

« Violence, racailles, racisme anti blanc, noirs, blancs, races, racisé,s les mots qui paraissent depuis hier soir appartiennent tous à un espace passionnel bien identifié : celui de la bataille identitaire. Elle est omniprésente dans le champ politico-médiatique, donc pas la peine de gesticuler, on n’y échappera pas. C’est une pieuvre dont les tentacules ramènent toutes à elle. »

« Depuis hier sur les réseaux, Fodé se situe quelque part entre Santan et l’assassin de Samuel Patty. »

« Quand une bande de blancs poursuit un blanc, qu’est-ce que c’est d’autre qu’un lynchage ? « 

« Quand tu dis ‘on passe à autre chose’, autre chose c’est la guerre civile ? Je dis ça parce qu’il arrive souvent qu’au bout d’un affrontement identitaire, il y ait une guerre civile : le Liban, la Tchétchénie, le Rwanda, l’Irak, la Yougoslavie, la Saint Barthélémy, la guerre de sécession. « 

« Le foot c’est les jeux du cirque,  un dérivatif de la guerre civile, une invention de la civilisation pour substituer la violence de la rue par la violence symbolique des tribunes. Une théâtralisation du conflit armé. Et d’ailleurs c’est les mêmes mots : identité, adversaire, combat, bataille, sacrifice, couleurs. »

« Je pense qu’elle veut le pouvoir. Quand on a un sentiment de toute puissance, c’est le principe. C’est sans fin. Tu vois, elle pousse la société au point limite du chaos, et là le pouvoir sera à sa portée, elle n’aura qu’à se baisser« .

« Un chef d’œuvre. Le coupable n’est plus Fodé Tiam mais l’entre soi du foot, une coalition des puissants : la Ligue, les gros clubs, les sponsors, les puissants qui s’attaquent à l’essence du jeu lui-même. J’adore la touche complotiste. C’est brillant. Et alors, avec l’émetteur là, on touche au sublime. Non seulement c’est la victime mais c’est un fils d’ouvrier, petit blanc déclassé avec un accent rocailleux du terroir. Impression de sincérité maximum. Identification. Emotion. C’est la parfaite superposition de la rupture maastrichtienne, du vote FN, des jardiniers barbecue de la France périphérique, des cités de banlieue et des derniers vestiges de la fierté ouvrière. La pureté cristalline. »

« Et si Marie, plutôt qu’être une candidate au pouvoir, n’était pas tout simplement atteinte de la maladie de l’époque : le narcissisme. Visibilité. Une femme prise dans le délire de la notoriété, amoureuse de son reflet qui s’étale partout, tout le temps. »

« Vous êtes devenu l’objet transitionnel qui agite les haines de ce pays. »

« Peu à peu, il devint impossible d’échanger avec quiconque une parole raisonnable. Les plus pacifiques, les plus débonnaires étaient enivrés par les vapeurs de sang. Et des amis s’étaient tranformés du jour au lendemain en patriotes fanatiques. Toutes les conversations se terminaient par de grossières accusations Il ne restait dès lors qu’une chose à faire : de replier sur soi-même et se taire.‘ »

« C’est dans Le monde d’hier de Stephan Zweig. Si vous ne l’avez pas lu, réparez ça d’urgence. C’est la description de la disparition du monde le plus civilisé qui soit, celui de la ville de Vienne du début du 20ème siècle ou comment le cœur battant de la culture européenne a été emporté par la haine de l’autre. »

« L’effet premier des algorithmes c’est la segmentation de la société. Si tout ça restait dans une bulle virtuelle, ça n’aurait pas de conséquence mais comme le virtuel s’imbrique dans le réel, la conversation publique devient un affrontement généralisé. Comment se comprendre quand il n’y a pas d’engagement ?« 

« La notion de race a toujours été un champ de bataille théorique. Utiliser le mot race, ce n’est pas du tout une violence raciale, c’est nécessaire, pouvoir penser à la fois la liberté, l’égalité et la différence. Le clivage de races, c’est au sens de races sociales, envisagées comme une production de l’histoire coloniale. »

« Vous savez que dans 92% des cas, pas besoin de tirer. Le simple fait de montrer une arme suffit à décourager votre agresseur. Ce sont les chiffres. Moi j’invente rien. « 

« La fenêtre d »Overton, c’est tout ce que l’opinion publique considère comme acceptable ou envisageable sur un sujet donné. Evidemment il y a des graduations : Donc une idée peut être radicale, acceptable, raisonnable, populaire. Et quant elle est là, en bas de l’échelle, elle est mise en pratique. Elle entre dans la loi. Mais tout ce qui n’est pas dans la fenêtre est tabou : l’inimaginable, l’impensable. La stratégie de Marie c’est d’élargir la fenêtre, pour que ça entre dedans. »

« On n’est plus dans le tabou absolu. On sort de l’impensable et c’est comme ça qu’on élargit la fenêtre. On lance une proposition inadmissible et par effet de comparaison, elle rend d’autres idées radicales un peu moins impensables. »

« Elle a ajouté que, pour qu’il y ait une guerre civile, il fallait des armes. »

« Tout citoyen a le droit d’avoir des armes chez lui et de s’en servir. Etonnant, non ? Surtout quand on sait que ce texte est issu des travaux préparatoires à la constitution de 1791 et qu’il devait y figurer à son article 10. Alors, me direz-vous, pourquoi en est-il absent ? La réponse est évidente, parce que le port d’armes libéralisé rendrait la société violente. Et c’est même le contraire, si l’article n’a pas été formalisé dans notre première constitution, c’est parce qu’il était tellement évident qu’on n’a pas jugé utile de le noter. »

« Imagine. Si au Bataclan, il avait eu des mecs armés sur les terrasses, et bien je suis pas sur que ça se serait passé comme ça s’est passé. »

« Ce qu’elle n’a pas compris, Mère Thérésa, c’est qu’on ne gagne jamais contre l’esprit d’époque. Kill Bill, elle, elle est en phase : collère, peur, injustice. C’est ça qui mobilise. L’émotion reine aujourd’hui, c’est le ressentiment, pas la niaiserie. « 

« Avant les gens ils voulaient être aimés. Maintenant, avec les réseaux, ils veulent être aimés à chaque seconde. C’est devenu la principale source d’endorphines. »

« Vous serez accusé de complicité avec la bête immonde par Le Monde, Libé, Télérama, les Inrocks, toute la bande. Non seulement la semaine d’après, vous serez sous les 100 000, maisn en plus, vous êtes persona non grata au festival off d’Avignon. »

« Il est plus facile d’être modéré quand on n’a pas de problèmes de fin de mois. »  

Fiche technique

Création : Eric Bensekri

Scénario : Laure Chichmanov et Anthony Gizel

Réalisation : Ziad Doueiri

Distribution

Nina Meurisse : Samuelle « Sam » Berger

Ana Girardot : Marie Kinsky

Lou-Adriana Bouziouane : Kenza Chelbi, militante décoloniale

Alassane Diong : Fodé Thiam

Benjamin Biolay : François Marens, le président du Racing

Xavier Robic : Tristan Javier, le directeur de l’agence de communication

Pascal Vannson : Pascal Terret, l’entraîneur du Racing

Assa Sylla : Fatou Thiam, l’épouse de Fodé

Maxime Elias-Menet : Adam, le fils de Sam

Johann Dionnet : Bertrand Latour, député LR

Grégoire Bonnet : Nicolas Barnet, le ministre de l’Intérieur

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